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Vic & Co en Chine
19 janvier 2011

Sophana

Sophana

 

Sophana était notre guide durant notre séjour à Siem Reap. Petite dame d’une soixantaine d’années, elle avait de l’énergie à revendre. Infatigable dans les temples ou les ballades, elle connaît les moindres recoins des sites, nous faisant découvrir tantôt l’angle d’où on aurait une perspective spectaculaire, tantôt le recoin oublié où se trouvait un bas-relief particulier ou encore la grotte aux chauve-souris, la plante qui se referme quand on la touche, la fleur qui sent le prout (grand succès bien sûr …). Sophana est aussi une merveilleuse conteuse, toujours prête à raconter une légende de son pays. Son père instituteur les lui racontait quand elle était enfant, et c’est en nous parlant de son père qu’elle nous a raconté sa vie, et l’histoire de son pays.

A l’arrivée des khmers rouges en 1975 elle avait vingt ans. Comme nombre d’intellectuels son père et toute sa famille furent envoyés à la campagne avec juste un baluchon, de quoi tenir deux jours tout au plus. Les deux jours furent longs … près de quatre ans. Quantre ans de travaux forcés dans la campagne, ce qui pour une jeune fille n’ayant jamais quitté la ville ou ses livres était une épreuve terrible. La faim regnait partout, les gens mouraient de maladie, d’épuisement, ou disparaissaient tout simplement. Sa grand-mère lui avait confectionné un pantalon de grosse toile pour travailler dans les champs. Affamée elle avait échangé les elastiques qui le faisaient tenir contre une assiette de patates douces, et s’était fabriqué une ceinture en liane pour les remplacer. Seulement c’était difficile à enlever, et les quelques secondes qu’on lui accordait pour se soulager ne suffisaient pas, elle n’avait donc d’autre solution que de se soulager dans son pantalon, puis de sauter dans la rivière pour se rincer. Elle fut rouée de coups pour avoir osé se détendre.

Ils ne pouvaient cuisiner ou manger qu’en communauté, ce qui était infaisable en pratique. Ingénieux, ils avaient élaboré un système de cuisson camouflé. Le riz cru était mis mouillé dans le foulard traditionnel, puis enterré sous des ordures qu’on brulait. Il cuisait un tout petit peu, et ça leur permettait de grignoter quelques grains à la sauvette.

Elle raconta aussi les mille et une astuces qu’elle avait dû déployer pour éviter les mariages forcés. Le chef de patrouille distribuait des numéros à cinquante garçons et à cinquante filles, puis appelait les numéros sur l’estrade. Garçon 1 et fille 1, vous etes mariés, suivants. Ils ne s’étaient jamais vus avant, et les jeunes filles étaient trop prudes pour regarder leur « fiancé » en face, résultat en descendant de l’estrade généralement elles ne savaient toujours pas qui étaient leurs maris.

Sophana pouvait nous donner au jour près la durée du régime de terreur auquel elle survécut. Son père a disparu durant cette période, et son corps ne fut jamais retrouvé.

A leur retour en ville, Sophana et ses proches qui étaient d’origine aisée, n’avaient plus rien. Ils ont dormi sous un arbre, puis ont construit une cabane, puis une maison, et petit à petit se sont reconstruits. Les survivants à Siem Reap ont ramassé les ossements éparpillés, et en ont fait une montagne, leur sanctuaire. Sa mère désespéré s’est rasée et est entrée à la pagode, laissant derrière elle ses sept enfants. Elle y vit toujours aujourd’hui.

Sophana nous a raconté tout ça avec son éternel sourire, évitant de choquer, avec beaucoup de respect et de douceur. Elle a dans le regard quelque chose de déterminé et volontaire, de sage et résigné aussi. La force des survivants. 

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